Le spécialiste digital de l'Emploi BTP et Immobilier

Une table ronde au Batiactu RH day, 25/10/2022
F.L., pour Batiactu ©
Emploi dans le BTP : "Il faut vendre aux jeunes un projet, mais aussi un sens"

DÉCRYPTAGE. Dans un contexte marqué par une forte activité économique mais aussi un manque de main-d'oeuvre, les acteurs de la formation initiale et continue se mobilisent pour faire valoir la pertinence de leurs cursus face aux enjeux - environnemental et numérique notamment - du secteur de la construction. Si les choses bougent incontestablement, des freins restent encore à lever.
 
 



Comment le système de formation peut-il faire valoir ses atouts dans un contexte marqué par une forte activité économique mais aussi un manque de main-d'oeuvre ? À l'occasion du Batiactu RH Day organisé ce 25 octobre à Paris, une table ronde s'est intéressée au défi que représentent, pour les formations initiale et continue, les enjeux - notamment environnemental et numérique - du secteur de la construction.

Car si la réforme de l'apprentissage de 2018 est toujours autant saluée pour ses résultats plus que probants - pas moins de 718.000 nouveaux contrats d'apprentissage ont été signés en 2021, privé et public confondus -, la question de plus en plus épineuse des financements reste prégnante. En outre, certains corps de métiers connaissent toujours d'importantes difficultés de recrutement, dans le bâtiment comme les travaux publics.

Davantage de jeunes mieux encadrés dans les écoles



La situation actuelle semble pourtant très favorable en début de parcours. "Ce qui a changé ces dernières années, c'est d'une part les flux qui ont explosé - on recrute 300 jeunes chaque année dans nos établissements -, et d'autre part la montée en puissance très forte de la formation, avec des grands groupes toujours très présents mais aussi une part de plus en plus importante de PME (petites et moyennes entreprises) et d'ETI (entreprises de taille intermédiaire)", analyse Emmanuel Bois, secrétaire général et coordonnateur des écoles d'Égletons (Corrèze). L'attractivité des métiers du BTP serait donc bien réelle aux yeux des jeunes.

"Environ 80.000 contrats d'apprentissage ont été signés tous niveaux confondus en 2021, et nous serons autour de 88.000 pour 2022. Il n'y a donc aucun problème pour les écoles et les CFA (Centres de formation des apprentis) à remplir les sessions d'apprentissage", se félicite Claire Gaillard, directrice de l'offre de formation et grands comptes chez Constructys, l'opérateur de compétences (Opco) représentant 290.000 entreprises du BTP et du négoce de matériaux.

Selon elle,
"l'apprentissage dans le BTP n'est de toute façon pas nouveau ; c'est une culture". Un terreau fertile qui aurait de surcroît bénéficié des décisions et aides mises en place par le Gouvernement ces dernières années, lesquelles auraient "incité encore davantage les entreprises à prendre des apprentis".

Néanmoins, la partie est encore loin d'être gagnée car les métiers de la filière continuent à traîner une image pas toujours positive. "La mentalité a changé mais il y a encore des efforts à fournir auprès des parents, qui voient encore l'apprentissage comme pas très valorisant. Mais il y a eu une évolution importante autour du tutorat, de l'accompagnement des entreprises et de l'accueil des jeunes", note Claire Gaillard.

Rôle primordial du tutorat



Les excellents chiffres de l'apprentissage des dernières années ne peuvent pour autant pas justifier que les acteurs se reposent sur leurs lauriers. "Il y a plusieurs points de vigilance. D'abord le comportement : on va faire tout ce qu'il faut pour garder un jeune motivé, qui a un bon esprit, mais si son comportement n'est pas au rendez-vous, et même si c'est le meilleur dans son domaine, on ne le gardera pas", explique Bruno Pavie, directeur des ressources humaines du groupe NGE.

Vient ensuite l'accompagnement : "Il faut former les jeunes sur les chantiers, c'est pourquoi on a aujourd'hui des tuteurs formés pendant quatre jours tant l'importance de leur rôle est fondamentale. NGE compte ainsi près de 400 tuteurs, dont la mission est complémentaire à celle du chef de chantier, du conducteur d'engins, du maçon, etc.". Le but étant ici de créer un esprit fédérateur au sein des effectifs de l'entreprise.

Le recrutement a par ailleurs indiscutablement évolué depuis quelques décennies, selon Bruno Pavie : "Quand on recrutait il y a 20 ans, on demandait tout un tas de pré-requis. Aujourd'hui cela n’existe plus, c'est celui qui veut bien venir, qui a la petite lueur dans les yeux, qui embrasse l'enthousiasme à nous rejoindre, qui va effectivement venir avec nous", poursuit le DRH.

Les attentes des entreprises ont donc changé, mais celles des jeunes aussi ! "Il faut être capable de parler numérique aux jeunes, en leur proposant par exemple d'apprendre à conduire un engin via un jeu vidéo. Et si l'on veut que plus de femmes puissent nous rejoindre sur les chantiers, il faut des outils adaptés. On y travaille en montrant nos métiers sous un angle moderne, presque avant-gardiste."

Savoir-être en entreprise... et en société



Du côté des CFA, on met en garde sur le nécessaire équilibre entre quantité et qualité des formations. "Nous accordons de l'importance aux volumes de formations apportés aux entreprises et à la préservation de la qualité de ces mêmes formations", complète Emmanuel Bois. Et de rappeler que les élèves rejoignant les centres sont souvent très jeunes, et qu'ils doivent de fait être encadrés, accompagnés sur le savoir-être indispensable au fonctionnement des entreprises et leur bonne intégration dans le monde du travail.

"Nous devons leur donner toutes les chances pour qu'ils puissent décider, avec leur employeur, et à chaque étape de leur parcours, de poursuivre leurs études ou de se lancer sur le marché du travail." Ces notions de vie en entreprise, et plus largement de vie en société, sont évidemment incontournables, a fortiori depuis la pandémie. "En 2021, on a vécu plus de démissions que d'habitude du fait que beaucoup de jeunes étaient restés enfermés chez eux pendant les confinements, et que leur intégration dans le système de l'internat s'est ensuite mal passée."

La solution consiste alors, pour les CFA, à s'adapter aux capacités des jeunes tout en restant attentifs aux attentes des entreprises. "Notre rôle est de mettre tout cela en adéquation. Il faut vendre aux jeunes un projet mais aussi un sens, et nous sommes justement dans une profession qui a un sens, qui permet de voir concrètement les résultats de son travail", plaide Emmanuel Bois.

C'est pourquoi, d'après lui, il est indispensable que les centres de formation se remettent en question en permanence, aussi bien sur les attentes des jeunes que sur celles des entreprises, en recomposant sans cesse leurs cursus. "Il faut avant tout former les formateurs à ces problématiques, pour qu'ils puissent ensuite faire le job sur le terrain avec les jeunes", ajoute le coordinateur des écoles d'Égletons.

"Il est très important d'accompagner les jeunes sur le comportemental, leur donner la base des savoir-faire pour que cela se passe bien en entreprise. Je rappelle que les démissions représentent tout de même 25% des contrats d'apprentissage", souligne Claire Gaillard. L'impasse ne peut donc pas être faite sur l'accueil, l'intégration, l'encadrement et le suivi des apprentis. Pour y parvenir, leurs tuteurs doivent cependant être aussi mieux formés.

Tirer les enseignements du Covid...



Les acteurs de la formation ont malgré tout les capacités pour rebondir : "On a bien vu l'évolution des organismes de formation pendant la pandémie, où il n'y avait plus la possibilité de faire du présentiel, et beaucoup d'entre eux ont alors fait des efforts d'adaptation et ont proposé une continuité dans la formation avec des cours à distance", note la directrice de l'offre de formation de Constructys.

Qu'elle soit initiale ou continue, la formation demeure dans tous les cas un investissement pour toutes les parties prenantes. Sur le volet formation continue, la crise du Covid a d'ailleurs pu susciter de nouvelles vocations, au vu du nombre de reconversions entamées, parfois chez des cadres, ingénieurs et autres diplômés du supérieur. "Je rappelle que la formation continue s'adresse à des salariés en poste dont la carrière évolue et qui suivent des parcours de formation plus ou moins longs", abonde Emmanuel Bois.

La formation peut donc bien souvent être la réponse au "plafond de verre" bloquant la progression de la carrière d'un salarié : "Le sur-mesure, l'agilité des centres de formation est essentielle face aux besoins croissants des entreprises", abonde le secrétaire général des établissements corréziens. "Il faut déjà démystifier ce qu'est la formation professionnelle par rapport à ce que les gens ont pu vivre dans un cursus classique de formation initiale ; reprendre les études ne veut pas forcément dire retourner sur les bancs de l'école", précise Claire Gaillard.

... et mieux intégrer le numérique



La prépondérance du numérique transforme d'ailleurs tous les métiers, et le fait qu'une frange de la population ne soit pas à l'aise avec ces outils finit par créer une forme de handicap, pour le salarié et par ricochet pour l'entreprise. Certaines d'entre elles mettent par conséquent en place des modules, voire des structures pour permettre à cette catégorie de salariés d'apprendre à utiliser le numérique.

"Nous devons faire jouer la transversalité professionnelle pour accompagner les métiers spécifiques vers une transformation de leurs compétences. Nous avons un vrai devoir envers nos salariés pour qu'ils restent performants", conclut Bruno Pavie. Aux yeux du DRH de NGE, la formation permet donc avant tout de créer du lien social et de construire des parcours de vie. "C'est une remise en question constante. La gestion de la formation est un point positif pour les entreprises, leur permettant de grandir et de faire grandir."


Corentin Patrigeon (25/10/2022)
Inscrivez-vous à la newsletter Inscription newsletter