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Manque de main-d'oeuvre : "Il y a besoin de faire évoluer le modèle de formation"

DÉCRYPTAGE. Les difficultés de recrutement que connaissent les entreprises du bâtiment s'expliquent par le déséquilibre entre l'offre de candidats et la demande de postes, mais aussi par l'inadéquation entre les profils recherchés et les profils disponibles. Le cabinet Kyu, spécialisé dans le conseil et la prospective, analyse les causes du phénomène et présente quelques pistes de réflexion.
 
 



Dans la dernière édition de son baromètre consacré aux tensions de recrutement dans le bâtiment, le cabinet Kyu confirme une "explosion" des besoins en main-d'oeuvre depuis la crise sanitaire, aussi bien dans le gros-oeuvre que dans le second-oeuvre. Les métiers de maçon, de chargé d'études et de chef de chantier sont particulièrement demandés.

Les deux métiers pesant le plus lourd dans les difficultés de recrutement des entreprises sont menuisier et charpentier, en raison des volumes qu'ils représentent dans la filière. À elle seule, la maçonnerie concerne en effet 39% des offres d'emploi recensées au 2e trimestre 2022. Elle est certes en croissance mais de manière relative, dans la mesure où le nombre d'offres a augmenté de 10% entre le 2e trimestre 2021 et la même période, un an plus tard.


"L'Île-de-France, la Nouvelle Aquitaine et Provence-Alpes-Côte d'Azur sont les trois régions où les besoins en main-d'oeuvre sont les plus élevés en 2022, en raison du dynamisme du marché de la construction dans les métropoles de ces régions (banlieue parisienne, Marseille, Bordeaux)", notent les experts de Kyu. La menuiserie représente quant à elle 15% des offres d'emploi diffusées dans le secteur.

"Les employeurs prévoient 19.210 projets de recrutement en 2022, dont 80,1% sont jugés difficiles, contre 15.340 en 2021", peut-on encore lire. Bien qu'ils aient un poids moins important dans le total des offres d'emploi, les postes de chef de chantier et de technicien électrique ont vu quant à eux leur nombre d'offres bondir respectivement de 30% et de 55% entre 2021 et 2022.

Une rémunération des cadres à la traîne



L'étude Komète s'est par ailleurs penchée sur les cadres, pour lesquels les besoins sont moindres et diffèrent selon le corps de métier. Les postes d'ingénieurs (méthode, génie civil...) demeurent les plus recherchés, particulièrement depuis la reprise d'activité du BTP en 2021. Viennent ensuite les postes de direction et d'encadrement (chef de projet, chef d'équipe...), ainsi que les métiers des systèmes d'information et de communication (ingénieur logiciel, chef de projet télécommunication...).

Entre 2016 et 2019, la demande pour ces fonctions cadres a quasiment doublé (entre +80% et +100%), avant de baisser durant la pandémie. "On observe ainsi une substitution entre les équipes support et d'encadrement et les équipes terrain, qui répondent directement au besoin d'activité", soulignent les analystes.

En revanche, les salaires des cadres du bâtiment ont progressé moins vite que ceux des cadres de tous les secteurs de l'économie (+8,7% contre +9,1% entre juin 2017 et juin 2022). De même, les conditions de travail de ces postes n'ont pas franchement évolué, ce qui laisse penser que les tensions sur ces fonctions résultent plus d'une inadéquation entre les candidats disponibles et les profils recherchés, que d'un déséquilibre par rapport à un trop grand nombre d'embauches ou un manque très important de main-d'oeuvre.

Former les seniors à former les apprentis



Pas sûr que les apprentis aujourd'hui en formation puissent renverser cette tendance. "On observe une augmentation des apprentis dans le bâtiment, mais la pyramide des âges du secteur se compose d'un grand nombre de seniors qu’on essaie de maintenir en emploi. Une hausse des apprentis ne suffira donc pas à atténuer, à compenser les tensions, même si c'est un des leviers qui peut aider à améliorer la situation", explique Audrey Ferreira, consultante chez Kyu Associés.

Avec les chantiers colossaux du Grand Paris Express et des Jeux Olympiques, la région parisienne concentre en outre beaucoup de difficultés. Dans ce cas, le recours à des salariés en situation de détachement sera insuffisant pour résoudre le problème - bien qu'il augmente continuellement dans le BTP -, et les entreprises auront sans doute besoin de se tourner vers des préparations opérationnelles à l'emploi collectives (POEC) pour augmenter les viviers de main-d'oeuvre.

Plus largement, c'est encore et toujours un problème d'attractivité - malgré l'amélioration des conditions de travail - et de formation des métiers du bâtiment qui plombent son marché de l'emploi. "Il y a besoin de faire évoluer le modèle pour lui permettre de faire face à ces tensions, notamment les modalités de formation", insiste Bernard Alberti, associé gérant chez Kyu Associés. Car les difficultés sont assez homogènes et se retrouvent dans toutes les régions. Les innovations dans les matériaux, les équipements, la domotique... demandent a fortiori plus de technicité, ce qui alimente les difficultés d'embauche.

"Les métiers traditionnels sont dépassés par de nouvelles techniques de mises en œuvre et de nouveaux matériaux et équipements. Il y a donc un problème d’adéquation entre la formation et la demande. C’est véritablement au niveau du terrain que les problèmes sont ardus, on manque cruellement de bras, donc de non-cadres", confirme le dirigeant. Qui invite à creuser la piste des seniors, "vivier de sachants important", pour former les apprentis et futurs salariés du secteur. La pédagogie n'étant pas innée, attention toutefois à d'abord bien former les formateurs.

"Pré-fidéliser les étudiants"


Sans oublier les problèmes de trésorerie des plus petites entreprises, qui diminuent encore leur marge de manoeuvre. "Le besoin trop important de main-d'œuvre, les crises sanitaire et énergétique n'ont pas aidé et ont entraîné des retards dans les chantiers et dans l'attractivité des salaires, même si la rémunération des non cadres a été privilégiée à celle des cadres", détaille Antoine Voyer, consultant chez Kyu.

Pour y remédier, des campagnes de communication sont lancées un peu partout par les pouvoirs publics et les organisations du secteur, mais encore faut-il en avoir les moyens et parvenir à se démarquer. Une piste de réflexion consisterait à nouer davantage de partenariats entre les CFA (centres de formation des apprentis) et les écoles d'une part, et les entreprises d'autre part pour établir un lien plus étroit entre la formation et le monde du travail. Ce qui permettrait au passage de "pré-fidéliser les étudiants", complète Audrey Ferreira.

En parallèle, les entreprises et organismes publics ont besoin de visibilité sur plusieurs mois pour mieux cerner les besoins de recrutement, et les programmes de reconversion professionnelle pourraient être mieux fléchés pour les remettre en phase avec la réalité du marché.


Corentin Patrigeon (06/12/2022)
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